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arts

Le «Mauritshuis»: 200 ans d’histoire riche en événements

Par Ilja Veldman, traduit par Jean-Philippe Riby
26 octobre 2022 9 min. temps de lecture

Il est possible d’y admirer le célèbre tableau La Jeune Fille à la perle de Johannes Vermeer, ainsi que des chefs-d’œuvre de Rembrandt, Rubens et Frans Hals. Surtout connu pour son impressionnante collection de tableaux du Siècle d’or néerlandais, le Mauritshuis demeure l’un des plus importants musées d’art des Pays-Bas. Récemment, Johan Maurits, le prince auquel le musée doit son nom, fut pointé du doigt pour son implication dans le commerce d’esclaves. Le musée dut faire la lumière sur ce passé.

Le Mauritshuis
fut inauguré le 5 janvier 1822 par le roi des Pays-Bas Guillaume Ier. Depuis l’origine, il occupe l’ancien palais de Johan Maurits (Jean-Maurice), comte de Nassau-Siegen et petit-neveu allemand de Guillaume d’Orange, dit le Taciturne. Le musée renfermait surtout des œuvres de maîtres hollandais et flamands du XVIIe siècle provenant de la collection du père de Guillaume, le stathouder Guillaume V. Guillaume Ier baptisa le nouveau musée «Cabinet royal de peintures», et c’est toujours le nom officiel du Mauritshuis. Le Journal officiel des Pays-Bas du 3 janvier 1822 indiquait que les visiteurs correctement vêtus et non accompagnés d’enfants seraient les bienvenus le mercredi et le samedi.

À l’époque, la visite du musée était donc une affaire sérieuse. Par ailleurs, le bâtiment en imposait. Outre le siège du gouvernement au Binnenhof, Johan Maurits fit édifier entre 1633 et 1644 un hôtel particulier monumental, de style classique, selon les plans de l’architecte Jacob van Campen, à qui nous devons aussi l’hôtel de ville d’Amsterdam (Palais royal). La construction s’effectua en l’absence de Johan Maurits, parti dès 1636 en Amérique du Sud afin de diriger la colonie néerlandaise du Brésil pour le compte de la Compagnie des Indes occidentales (WIC). À son retour, il fut nommé en 1647 lieutenant-général du duché de Clèves. Le Mauritshuis devint alors un lieu de réception.

La constitution de la collection de peintures

Au début, les tableaux du Mauritshuis n’étaient exposés qu’au premier étage, cadres contre cadres, les uns au-dessus des autres. L’un des fleurons de la collection de Guillaume V était la Vue de Delft de Johannes Vermeer, le plus célèbre panorama urbain du Siècle d’or néerlandais. L’impression que dégageait ce tableau tenait surtout au jeu remarquable de la lumière du matin, au rendu réaliste de la ville, aux nuages imposants et à leur reflet subtil dans l’eau. Marcel Proust vit la toile en 1902 et en fit la description dans le quatrième tome de son célèbre roman À la recherche du temps perdu. Vermeer ne fut cependant redécouvert et apprécié qu’au XIXe siècle.

Pendant longtemps, Le Taureau de Paulus Potter demeura plus célèbre. C’est étonnant, car Potter avait représenté dans un très grand format une scène toute banale d’un taureau, saisi sur le vif, en compagnie d’une vache, d’un groupe de caprins et d’un paysan. On estimait en effet que les petits formats convenaient davantage aux scènes de genre, représentant la vie quotidienne, alors que les grands formats étaient réservés aux scènes historiques ou bibliques. Potter avait accordé beaucoup d’attention à des détails tels que l’essaim de mouches sur le dos de l’animal, l’empreinte de ses sabots dans la boue, la grenouille et la bouse au sol, les bords effilochés du vieux chapeau du paysan. Ce tableau devint ainsi l’emblème de la peinture naturaliste hollandaise.

Le «Cabinet royal de curiosités» (antiquités, livres, manuscrits, objets ethnographiques) qui se trouvait au rez-de-chaussée fut transféré ailleurs en 1875 pour permettre l’exposition de nouveaux tableaux. Ce déménagement s’imposait, car le roi Guillaume Ier fit procéder à de nombreuses acquisitions remarquables. L’une d’entre elles fut La Leçon d’anatomie du docteur Tulp, portrait de groupe de chirurgiens amstellodamois qui était l’un des chefs-d’œuvre du jeune Rembrandt. Une salle Rembrandt fut spécialement aménagée pour accueillir cette toile de dimensions importantes. À partir de 1830, l’acquisition de nouveaux tableaux devint financièrement beaucoup plus difficile.

La situation changea en 1889, avec la nomination d’un nouveau conservateur, Abraham Bredius, historien de l’art et collectionneur réputé. Au cours de la longue période où il fut en poste, la collection du musée s’enrichit de nombreux chefs-d’œuvre, provenant en partie de sa propre collection. Il acquit ainsi en 1903 le tableau de Rembrandt intitulé Deux Noirs et en fit un prêt de longue durée. À une vente aux enchères organisée à Paris en 1896, il réussit à acquérir Le Chardonneret de Carel Fabritius. C’est l’une des rares œuvres de ce peintre mort dans la force de l’âge qui aient été conservées; elle présente l’originalité d’avoir été réalisée entièrement en trompe-l’œil. Ce tableau a acquis une célébrité plus grande encore après la publication du roman de l’Américaine Donna Tartt The Goldfinch en 2013. Le musée présente aussi des tableaux de peintres n’appartenant pas au Siècle d’or néerlandais, tels que Roger de la Pasture (Rogier van der Weyden), Rubens, Van Dyck, Holbein et quelques artistes italiens.

Cependant, le tableau de loin le plus célèbre et le plus reproduit de la collection est La Jeune Fille à la perle de Johannes Vermeer. En 1903, le collectionneur haguenois Andries des Tombe le légua au Mauritshuis, lui-même l’ayant acquis pour deux florins et trente cents vingt ans auparavant. La jeune fille, dans une tenue exotique, avec un turban oriental et une énorme perle en pendant d’oreille, n’est pas un portrait mais une représentation par laquelle la fantaisie de Vermeer a su conférer à son personnage une redoutable séduction qui opère aujourd’hui encore, avec des reflets de lumière sur ses lèvres humides entrouvertes, avec de grands yeux innocents et un regard quelque peu interrogateur (aguichant?) tourné vers le spectateur.

Au cours du temps, d’autres œuvres majeures furent acquises: des (auto)portraits de Rembrandt et des scènes de genre intimes comme La Chasse aux poux de Gerard ter Borch (dans laquelle une mère épouille la tête de son enfant) et La Mangeuse d’huîtres de Jan Steen. Au fil des années, les nombreuses expositions consacrées à l’art du XVIIe siècle ont non seulement constitué un régal pour les yeux, mais aussi fourni, à travers leurs catalogues, une mine d’informations sur l’histoire de l’art.

Johan Maurits: adulé au Brésil, déconsidéré aux Pays-Bas

Le Mauritshuis doit donc son nom au comte Johan Maurits (1604-1679). Pendant longtemps, ce membre de la famille d’Orange suscita la fierté. La colonie néerlandaise dont il devint gouverneur en 1636 couvrait une bande côtière prise aux Portugais par les Néerlandais quelques années auparavant. En homme éclairé, Johan Maurits emmena avec lui savants et artistes, dont les peintres Frans Post et Albert Eckhout, les uns et les autres étant chargés d’étudier les populations indigènes, la flore et la faune du pays. Bien que calviniste, le comte fit preuve de tolérance à l’égard du catholicisme ou du judaïsme portugais. Une nécessité, du reste, car il avait grand besoin des Portugais pour la lucrative industrie sucrière. Les plantations de canne à sucre et les moulins étaient exploités grâce à l’apport d’esclaves africains.

Johan Maurits joua un rôle important dans la traite transatlantique. À l’origine, les Africains étaient surtout originaires d’Elmina (Ghana), mais le gouverneur parvint à prendre Luanda (Angola) aux Portugais et fit venir chaque année 23 000 esclaves dans les plantations de sucre brésiliennes. Il semble aussi s’être impliqué personnellement dans la vente d’esclaves reçus en cadeau du roi du Congo. Toujours est-il qu’il sut faire de grands profits en dehors de sa rémunération régulière, de sorte qu’il put entretenir une cour princière et faire réaliser nombre de constructions au Brésil, mais également l’imposant Mauritshuis en métropole. En 1643, les directeurs de la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales le rappelèrent aux Pays-Bas en raison de sa prodigalité. En fait, il fut tout bonnement révoqué, alors qu’au Brésil, il fut dénommé «le Brésilien» –surnom toujours d’actualité– et particulièrement apprécié, notamment pour avoir créé des ponts, des égouts et un jardin zoologique au cours des huit ans où il resta gouverneur.

Le comte ramena en métropole un trésor de produits coloniaux et d’objets d’art, sans parler des six jeunes guerriers tapuias destinés à divertir par leurs danses rituelles ses invités à La Haye. Il ne reste plus guère de ces objets d’art dans l’actuel Mauritshuis. Plus tard, Johan Maurits fit don de presque tous ses tableaux au roi de Danemark Frederik III (exposés aujourd’hui au musée national de Copenhague). Les centaines de dessins qu’il offrit à l’électeur de Brandebourg se trouvent aujourd’hui à Cracovie. Il reste cependant au Mauritshuis les Deux tortues brésiliennes d’Albert Eckhout et Vue sur l’île d’Itamaracá de Frans Post, prêté pour une longue durée par le Rijksmuseum. Cette œuvre de 1637 est le premier tableau connu de Post et la première réalisation d’un peintre européen au Brésil. Il représente, au bord de l’eau, deux Portugais et des Africains réduits à l’esclavage, vêtus seulement d’une culotte courte blanche. Un autre tableau de Post, Paysage brésilien avec une maison en construction, fut légué au Mauritshuis en 2002.

Confrontation avec le passé colonial

L’esclavage en général et le commerce d’esclaves pratiqué par Johan Maurits en particulier ont fait récemment l’objet de recherches approfondies aux Pays-Bas. Les résultats de cette étude ont mis le Mauritshuis, institution publique, dans une position quelque peu inconfortable. De fait, un musée qui a pour cadre depuis l’origine la résidence somptueuse du comte Johan Maurits de Nassau-Siegen ne peut actuellement ignorer les sources de tant de richesse accumulée de manière peu louable.

Il fallut tout d’abord affronter une déferlante anticolonialiste. En 1987, on réalisa une réplique en résine d’un buste en marbre de Johan Maurits, œuvre de Bartholomeus Eggers dont l’original orne toujours le caveau du comte à Siegen, en Allemagne, et on la plaça bien en évidence à l’entrée du Mauritshuis. En 2017, on retira discrètement cette réplique du foyer d’accueil du public. Ce retrait en catimini, dévoilé quelques mois plus tard, provoqua une tempête médiatique, des questions au Parlement de la part des détracteurs ou des partisans, et même des déclarations du Premier ministre néerlandais.

En 2019, le Mauritshuis organisa une exposition intitulée Bewogen beeld. Op zoek naar Johan Maurits (Image trouble. À la recherche de Johan Maurits) qui fit écho à cette discussion, et l’implication du comte de Nassau-Siegen dans le commerce des esclaves fut également mise sur le tapis. À la suite de l’étude historique qui fut menée, on ouvrit en 2020 une salle permanente abondamment documentée sur le personnage qui avait donné son nom au bâtiment. L’information ne concerne pas seulement son importance au regard de l’art et de la science, mais aussi son rôle dans l’esclavagisme transatlantique. Outre les tableaux de Post et d’Eckhout, on y trouve également un portrait peint et une petite terre cuite représentant Johan Maurits. Comme la réplique du buste ne constitue pas une œuvre d’art originelle, elle reste dans la réserve.

Le site web du Mauritshuis

Festivités:
Pour son bicentenaire, le Mauritshuis a également choisi d’être dans l’esprit du temps.
Jusqu’au 6 juin 2022, une grande exposition a été consacrée aux natures mortes florales du XVIIe siècle, privilégiant les tableaux exécutés par des femmes.
Jusqu’au 16 octobre, des clichés de photographes célèbres, inspirés par l’art du XVIIe, ont été exposés à côté des tableaux.
De plus, cinq artistes de rue mondialement connus réalisent des peintures murales grandeur nature dans le cadre du projet The Hague Street Art.
À l’instar des écrivains qui, dans le passé, avaient trouvé leur inspiration au Mauritshuis, 200 auteurs ont reçu mission d’écrire un texte en rapport avec leur œuvre favorite.
Cet article a initialement paru dans Septentrion n° 6, 2022.
Ilja-Veldman

Ilja Veldman

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